Trois principes communs régissent la pratique maçonnique et l’analyse psychanalytique : la connaissance de soi, le symbolisme comme langage universel, et la recherche de la vérité. Toutefois, nous allons voir que la mise en œuvre de ces deux pratiques présente des divergences.
La connaissance de soi
Psychanalyse et franc-maçonnerie se rejoignent sur le projet de mieux se connaître. La maxime Connais-toi toi-même inscrite sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes, reprise dans les Dialogues philosophiques de Platon et attribuée à Socrate est régulièrement citée lors de nos Tenues. Cette connaissance de soi s’élabore au cœur de la Loge d’abord dans le silence de l’apprenti, puis dans les voyages du compagnon, puis vers la maîtrise de sa personnalité, de son art d’être. Cette connaissance de soi va aussi s’inscrire dans une transmission historique, histoire qui dans notre cas se réfère à celle des templiers.
Le but de l’analyse psychanalytique est aussi la connaissance de soi. Une connaissance qui passe par les mécanismes de l’inconscient (comme le refoulement) développés par S. Freud (1856-1939). Le travail analytique s’élabore dans le cadre d’un travail personnel, intérieur, souvent dans une recherche historique familiale et intergénérationnelle.
À ce stade de cette réflexion, nous pouvons avancer que le cadre est, dans les deux disciplines que sont la franc-maçonnerie et la psychanalyse, extrêmement structuré et agissant comme autorité. En psychanalyse, le cadre est notamment défini par la régularité des séances, l’écoute bienveillante et la discrétion absolue du thérapeute. En franc-maçonnerie, le cadre émane de textes comme le rituel, le catéchisme ou encore la parole de l’orateur au moment des réceptions. Ce sont aussi les F:. et des S:. tels que les compagnons, maîtres, vénérable maître qui guident sur le chemin codifié, tracé, ritualisé de la connaissance de soi.
Le symbolisme comme langage universel
La psychanalyse comme la franc-maçonnerie utilisent dans leur pratique respective l’universalité du langage symbolique. Carl Gustav Jung (1875-1961), fondateur de la psychologie analytique, recherche l’universel dans les grandes mythologies religieuses. Dans l’Interprétation des rêves, S. Freud fait état de symboles de portée universelle ou liée à la vie personnelle pour raconter des situations souvent souffrantes. L’utilisation de symboles permet ainsi d’exprimer des sentiments que l’individu ne peut explicitement énoncer dans la vie diurne. L’interprétation de ces symboles est nécessaire pour mettre à jour le sens d’un récit.
En franc-maçonnerie, il est banal de dire que la Tenue, les décors, les gestes, le rite, les places des membres de la Loge, le rythme du temps sont symboles. En observant attentivement le Tapis de loge, nous pouvons ainsi avoir au moins cinq lectures de ce qui est signifié symboliquement : une lecture profane, une lecture à un niveau opératif, une lecture maçonnique, une lecture templière et une lecture spirituelle ou religieuse celle-ci se faisant elle aussi dans au moins deux traditions chrétienne et juive. Pour illustrer ces propos, je m’appuie sur le livre la Loge allégorique de notre F:. Patrick Govindin. Sur le premier tiers occidental du Tapis, sont disposés des outils propres à l’ordre allégorique. Pour un profane, les trois pierres (la pierre brute, la cubique, et la fendue) et les outils peuvent renvoyer au travail des bâtisseurs du moyen âge. Si on passe à une interprétation maçonnique, ce travail de la pierre renvoie au travail de notre psyché ; à un niveau templier, on repère l’encadrement qui forme un temple. Pour la lecture spirituelle, on se réfère à l’Ancien Testament et à la construction du temple de Salomon décrit dans le livre des Rois (1 Rois, v. 13). Et ces 5 lectures peuvent ainsi se faire pour tous les hiéroglyphes et au niveau des trois ordres allégorique, templier et sacerdotal. Mais ici, contrairement au processus du rêve, les symboles sont volontairement utilisés et cachés, réservés à des initiés. La connaissance d’accès à la vérité ne se donne pas, elle se cherche. Cette approche par le Tapis, peut aussi bien se faire par le catéchisme ou encore par le discours de l’Orateur aux trois grades.
La recherche de la vérité
La recherche de la vérité, est notre troisième lien entre la franc-maçonnerie et la psychanalyse. Sur le divan du cabinet du psychanalyste, un homme parle. Derrière lui, un autre homme écoute. Ce qui les lit, c’est leur capacité à s’écouter. Ils se sont choisis, l’un est entré dans le cabinet de l’autre qui a accepté d’être à son écoute. Le premier dépose ses pensées. Il ne s’agit ni de débats, ni de convictions. Juste de mettre en mots sa pensée intime, de se rejoindre. Le parlant n’attend ni réponse, ni contradiction, ni jugement. Juste que l’écoutant soit là pour l’entendre. Juste qu’il se positionne en frère en humanité. Qu’importent leurs différences de point de vue.
En franc-maçonnerie, cette quête de la vérité passe par les outils et le rituel maçonniques. Il y a trois outils de précision situés sur la partie médiane du Tapis de loge. La règle ou le niveau, qui relie les deux colonnes du temple marquées l’une J. et la seconde B. La règle, c’est la mesure nécessaire à tout apprentissage caractérisé par l’observation et l’obéissance. Puis, il y a le fil à plomb et la perpendiculaire. Leur positionnement sur le Tapis est à considérer. Le fil à plomb est dessiné sur le côté nord, la perpendiculaire sur le côté sud. La perpendiculaire vérifie avec exactitude la verticalité acquise, sous la vigilance du Maître, placée au centre. Le temps d’observation de l’apprenti est, on le comprend, indispensable pour déchiffrer ce qui est caché.
Le travail introspectif
En franc-maçonnerie, le travail, l’assiduité et l’introspection visent à une transformation de soi, jusqu’à une élévation, jusqu’à donner un sens à notre existence. Au-delà de la connaissance, c’est l’approfondissement de nos vies et de notre qualité d’être que nous désirons. La première étape après la réception le démontre. Au premier grade, il est demandé d’accéder au silence, de le laisser vivre en soi, de l’enrichir par l’écoute et l’observation, de taire les paroles intempestives qui ne pourraient pas être déjà dites dans la formalité du cadre pas encore connu. Ce cadre qui pourtant règle le fonctionnement de la Loge et de ses Tenues.
Un mouvement régressif
Demander à un profane adulte de se taire et d’écouter quand il entre en maçonnerie renvoie au mouvement régressif vécu lors d’une analyse. La théorie freudienne est fondée sur ce principe que l’on peut résumer dans cette locution Qui s’élève s’abaissera et qui s’abaisse s’élèvera, qu’aucun franc-maçon ne nierait. En analyse, on parle de régression, d’un passage obligé pour trouver la vérité et le sens de sa vie. Il est question là de la mort symbolique du sujet pour faire naître un nouvel homme éveillé. De son côté, le psychiatre Jacques Lacan (1901-1981) a dissocié la psychanalyse de la psychiatrie et l’a rapprochée des pratiques spirituelles de transformation de soi. Par cette voie, se rejoignent à nouveau le travail analytique et la franc-maçonnerie en s’enracinant dans la philosophie antique et médiévale. Les Travaux maçonniques font fréquemment référence à Platon, et notamment au mythe de la caverne, mythe de renaissance et d’initiation, ou encore au mythe du chevalier qui à travers ses aventures part en quête du Graal et de la céleste nourriture.
Envoi
Le rituel maçonnique et le travail analytique invitent à la liberté. Tout au long de notre vie, nous nous trouvons à maintes reprises à la croisée de plusieurs chemins pour évoluer dans notre condition humaine. Les chemins empruntés s’enrichissent mutuellement au fur et à mesure des années. Ceux qui furent pertinents à une intersection laissent la place à d’autres lors de nouveaux choix. A nous de garder vivante notre vigilance car “Ce qu’on cherche, on peut le trouver ; mais ce qu’on néglige nous échappe.” dit Créon à Oedipe, dans la tragédie de Sophocle (-495-406), Oedipe roi.
5/02/2025
Guylène Dubois, Sur le divan sétois.
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