Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve / Serge Gainsbourg.

Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve est l’un des premiers titres écrits par Serge Gainsbourg (1928-1991)  pour Jane Birkin (1946-2023) pour l’album Baby alone in Babylone de 1983, alors qu’ils viennent de se séparer. Une chanson d’amour et de rupture. On apprend sur wikipedia que le titre est inspiré d’une œuvre littéraire du peintre Francis Picabia (1879-1953) Jésus-Christ Rastaquouère dont S. Gainsbourg disait : “Celui qui n’a pas lu Jésus-Christ rastaquouère est vraiment le dernier des cons ». 

Bonheur en psychanalyse

On ne trouve pas d’entrée lexicale au mot bonheur dans les dictionnaires de psychanalyse. Toutefois, la Volonté du bonheur du  psychanalyste autrichien Otto Rank (1884-1939) écrit en 1929 est publié aux éditions Stock en 1972.  Otto Rank, dissident de Freud, est de ceux qui ont ouvert de nouvelles voies à la psychanalyse et contribué à la connaissance de l’homme. Il est aussi l’auteur du livre Le Traumatisme de la naissance (1924), dans lequel il soutient qu’à la naissance tout être humain subit un traumatisme majeur, qu’il cherche inconsciemment durant toute sa vie à dépasser.

La thérapie active d’Otto Rank

O. Rank développe en 1926  l’idée d’une thérapie active, identifiée par une cure courte, de quelques mois, et limitée par avance dans le temps. La Volonté du bonheur est une partie de ce livre écrit en 1926 La Technique psychanalytique.  Tout en écoutant l’analysant évoquer son passé, en se connectant à son inconscient, O. R.  préconise de faire aussi appel à sa volonté consciente, à la situation présente vécue, à sa réalité et à son désir de guérir. Ce texte la Volonté du bonheur place avant tout l’accent sur le processus de création, sur l’individu créateur de son moi et de sa personnalité.

La puissance créatrice

Otto Rank considère que la puissance créatrice participe à sa croissance, et à son accomplissement par la poursuite du bonheur. C’est ce réveil de la volonté créatrice qui donne les fondations au bien-être général. Il considère que la psychanalyse n’est qu’une glorification de la puissance de la conscience. Puisque c’est par la prise de conscience de ses motifs inconscients que la névrose se guérit. p. 24. C’est un acte de notre volonté, une aspiration intérieure qui conduit l’individu vers la liberté. 

Entre peur et bonheur

Pourtant, Serge Gainsbourg a bien identifié tout le paradoxe de cette volonté d’accéder au bonheur  dans ce vers Fuire le bonheur de peur qu’il ne se sauve. Les mots bonheur et peur non seulement riment  mais associer la peur au bonheur rejoint ce que S. Freud a identifié dans la réaction thérapeutique négative, dans laquelle l’analysant s’oppose à sa propre guérison. Ce phénomène montre que nos résistances à la guérison garantissent l’équilibre de nos vies. Faire tomber nos résistances peut avoir un prix tellement coûteux que nous ne pensons pas être en mesure d’y faire face. 

Pourquoi est-ce si difficile de vivre heureux ?

Certes, la psychanalyse s’adresse à toute personne qui souhaite répondre à cette question : pourquoi est-ce si difficile de vivre heureux ? Entrer en analyse c’est à la fois faire preuve d’une réelle volonté de vivre et aussi d’identifier les racines de nos peurs souvent logées dans les bas fonds de notre inconscient. Alors, plutôt que de tenter d’atteindre ce graal du bonheur, nous préférons parfois le fuir pour ne pas en ressentir l’amère frustration de ne pas l’atteindre. Mais, dans le cadre d’une analyse et d’un transfert réussi, la recherche du bonheur peut vraiment en valoir le travail. 

Guylène Dubois. Psychanalyste à Sète.

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