L’analyste fait silence à l’écoute des mots prononcés par l’analysant. Ce silence n’est toutefois plus ou pas si fréquemment pesant, et l’analyste n’hésite plus à intervenir pour accompagner son patient.
Le silence d’installation. Un silence d’installation aux mots. Comme un écrin à ce qui va advenir, comme un écrin de la naissance de la séance. Un écrin et une piste de décollage, qui amorce l’entretien. Un silence comme un tapis qui se déroule pour que s’y déposent les mots et les sons. Un silence, pour dire que tout est prêt pour l’accueil de ce qui est premier et tellement déterminant pour la suite de la séance. Le premier silence qui commence une séance, c’est le silence de la dépose.
Le silence de l’attente, un silence entre deux bruits de mots. Un silence qui fracture les phrases. Parce qu’elles ne peuvent être enchaînées les unes aux autres. Un silence qui sépare les idées, les mouvements de la pensée qui vire et qui retourne, fait une marche arrière, reprend de la vitesse. Des silences qui attendent le mot qui veut être juste, en adéquation avec la pensée. Un silence qui attend que la pensée s’élabore pour mieux s’offrir à la communication avec l’autre, à l’expression de soi.
Il y a aussi le silence de l’écoute. De sa propre écoute. De l’écoute de ses réactions du corps, des interférences physiques qui viennent se percuter aux mots dits, entendus, remémorés. Un silence qui accueille et qui laisse la place aux bruits du corps et de la résonnance qui suit le son du mot prononcé. Un silence qui explore les recoins où viennent se loger les réactions non verbalisées.
Le silence de la fin. Le marqueur de la fin de l’échange. Comme le point, la ponctuation finale d’une phrase. Le silence qui explore si le réservoir de mots est bien vide ou s’il reste encore quelques mots à racler sur les parois. Le silence de la fin s’observe, se questionne.
Le silence interrogatif, celui qui donne la main, qui passe la main à l’autre. Le silence comme une corde à saisir pour éviter que les mots ne tombent dans le précipice. Un silence qui appelle l’expression, qui appelle au secours des mots.
Le silence qui travaille. Le silence qui s’impose car dans la tête ça cause, et ça cherche, et ça parle. Comment parler vers le dehors quand dans le dedans ça cause beaucoup. Ça fait du bruit, ça s’agite. La bouche se ferme, fait silence. Rien ne s’exprime, ne va au-dehors, tellement la ruche intérieure est active. Le silence apparent qui cache, qui oblitère toute l’activité intérieure de l’analyste. L’analyste ne choisit pas d’être silencieux, il est obligé de faire silence car en lui ça travaille, ça cause, ça cogite, ça pense. Sans lui mais de façon connectée à l’autre, à celui avec lequel le dialogue se construit.
Le silence de l’expression de soi : il s’agit du silence, non seulement des paroles non dites, du silence des mots, celui de la neutralité de l’expression. Pas d’émotions à montrer, pas de réactions qui orientent l’expression de l’analysant. Non, une absence de sa propre expression pour laisser toute la place.
Le psychanalyste fait silence, bien évidemment pour mieux entendre ce qui se dit, pour ne pas faire interférence, pour ne pas imposer son monde. S’il parle, il provoque une coupure, il fait irruption dans l’univers de l’autre. L’analyste ne fait pas silence, parce que c’est de bon ton de se taire, mais tout simplement, c’est que s’il ne fait pas silence, il ne peut pas travailler. Son monde est celui du silence.
Guylène Dubois, 25 avril 2022, sur l’invitation de Lucas Bielli.