Lucas Bielli, psychanalyste à Montpellier et Guylène Dubois, psychanalyste à Sète animent la chronique hebdomadaire Radio divan, pour une psychanalyse populaire. Deux voix pour explorer un sujet psy.
Pour écouter l’émission sur FM-PLUS. Et sur Youtube.
Extr. de l’émission : la plainte par Guylène Dubois.
La plainte en psychanalyse
Il n’est pas rare que la plainte soit l’expression première et manifeste de l’entrée en cure psychanalytique. Des plaintes, des doléances, des pleurnicheries, des protestations, des réclamations, récriminations, ou encore vitupérations. Tous ces mots correspondent à différents niveaux de plainte et disent aussi que la plainte exprime une souffrance dans la relation à l’autre. On se plaint de l’autre. Cet autre pouvant être une personne, un proche, une institution, ou encore une situation qui s’avère inconfortable, inacceptable, intolérable. Dans la plainte, il y a l’idée d’une souffrance qui abat le sujet, qui se sent impuissant à changer la situation et qui estime que personne ne pourra recevoir sa plainte et encore moins la comprendre et la soulager. La plainte est propre à la mélancolie. Le plaignant sollicite une écoute, et pas nécessaire une réponse, en tout cas n’attend pas de réponse factuelle. Il cherche à épancher sa plainte, telles les Lamentations bibliques dont l’intérêt est l’expression de la plainte, plus que la solution au motif de la plainte.
Trois caractéristiques de la plainte
Pour la psychanalyse, la plainte présente trois caractéristiques. Il y a d’abord la reconnaissance d’une personne importante pour le plaignant. Une personne centrale, essentielle qui serait la mère, la personne qui nourrit dès la plus petite enfance. Puis, la deuxième caractéristique est l’expérience que cette personne fougueusement aimée s’éloigne, prend ses distances. Qu’elle a sa vie, et qu’elle peut même disparaître à jamais. Et enfin, la plainte advient, en raison du refus de cette mise à distance. La plainte prend sa source dans cette insurmontabilité de l’éloignement irréversible et innaccepté. C’est cette confrontation à la séparation qui nourrit la plainte. Comme si l’enfant qu’est devenu l’adulte n’acceptait pas que l’être si aimant et aimé pouvait s’éloigner de lui. La plainte a donc à voir avec les questions de rupture, de séparation, de perte, d’absence qui n’ont eu ni réponses, ni compréhensions, ni solutions d’ordre psychique. Le cabinet du psychanalyste, la relation avec le psychanalyste est le lieu où s’exprime la plainte la plus actuelle. Celle qui se manifeste au quotidien. Et de plaintes en plaintes, comme une complainte dans le transfert, peut surgir la première des plaintes. La plus archaïque. celle qui détermine toutes les autres. N’entendons-nous pas cette expression : mais de quoi te plains-tu ? N’as-tu pas tout pour être heureux dit bien que la plainte a des racines profondes, invisible à celui qui observe le contemporain. La plainte est bien autre chose, et ne se donne pas à l’écoute dès les premières paroles. La plainte est à rechercher. La forme de l’écoute analytique permet justement de ne pas s’en tenir à l’expression du réel, mais de déceler à travers les mots de l’aujourd’hui l’importance des événements qui ont modelé, structuré le psychisme naissant. Le transfert met à jour cette situation de finitude, de séparation qui empêche la complétude fusionnelle. L’écoute analytique, en ne cherchant pas à intellectualiser la plainte, en élaguant la rationalité des situations sociales, confortables mais en percevant toute la densité émotionnelle d’avant le langage parlé, amorce les chemins vers la plainte originelle.